La forme de corps en Nihon Tai Jitsu



Suite à mon article précédent sur les Katas de base en Nihon Tai Jitsu et la conversation qui a suivi sur Google Plus, j’ai pensé qu’il serait intéressant que je clarifie mon point de vue sur la forme de corps en NTJ ici. Il s’agit bien évidemment d’un point de vue personnel et qui n’engage en rien l’école ou sa direction technique.

Le Nihon Tai Jitsu est souvent perçu comme un art hétéroclite dans lequel la partie visible est souvent bien différente de la version officielle. C’est particulièrement vrai pour la forme de corps, puisque si celle-ci vient normalement du Shorinji Kempo, cette influence est assez rare dans les faits.

Une forme de corps Shotokan ?
C’est la remarque la plus courante et elle n’est pas totalement infondée. Si le NTJ vient normalement du Yoseikan Aikido et Minoru Mochizuki et du Shorinji Kempo de Doshin So, nombreux sont les pratiquants aujourd’hui dont la forme de corps ressemble à s’y méprendre a du Karaté Shotokan. Ce n’est pourtant pas la seule forme de corps que l’on peut remarquer dans l’école, mais j’y reviendrai.

Le NTJ présente l’avantage d’utiliser dans son cursus les atemi, les projections, les clés, les étranglements, etc. Tout le panel de techniques à mains nues, ce qui a pour effet d’attirer des spécialistes (souvent issus du Karaté Shotokan) qui souhaitent ajouter de nouvelles techniques à celles qu’ils connaissent déjà.  Phénomène favorisé en France par la présence du NTJ dans la FFKDA qui permet aux gradés de conserver leur grade dans la nouvelle école. De ce fait de nombreuses « pièces rapportées » sont arrivées avec un certain bagage et une forme de corps qui n’ont pas été laissés au vestiaire.

A titre personnel, je ne suis pas convaincu que la forme de corps du Shotokan soit la plus appropriée dans le cadre du Nihon Tai Jitsu. Sans juger de sa validité intrinsèque, il me semble que les stratégies de combat et les distances associées sont très différentes : le Shotokan s’est fait une spécialité des percussions à longue distance et de la capacité à rentrer dans la distance et à en ressortir très rapidement. Le NTJ au contraire utilise les percussions pour casser la structure et souvent rentrer dans une distance plus proche.

Des influences différentes et nombreuses
Au sein du NTJ, on retrouve des influences nombreuses. Si elles peuvent donner l’impression d’un ensemble décousu, elles amènent aussi une grande richesse avec des pratiquants expérimentés qui apportent un éclairage nouveau. D’une certaine manière, on pourrait considérer le NTJ comme une médecine généraliste et ces pratiquants comme des spécialistes. Cela fait aussi partie pour moi de l’influence de Minoru Mochizuki qui enseignait des choses différentes à différentes personnes. Nous avons tous des corps différents et des sensibilités différentes, il est difficile de nous faire tous pratiquer la même chose de la même façon.     

Parmi ces nombreuses influences, on voit notamment :

  •  Judo, notamment avec Raymond Jugeau, Hanshi de la discipline
  •  Kyusho, notamment avec Serge Rebois
  • Arnis Doblete Rapilon, dont Dani Faynot est 10e degré et l’un des principaux représentants
  • SARC (self défense/kyusho) via entre autres Thierry Durand
  • Gyokushin Ryu Aikido via Philippe Galais qui s’entraine régulièrement avec Washizu sensei

Il ne s’agit là que de quelques-unes des nombreuses influences, qui ne sont d’ailleurs pas mutuellement exclusives.

Est-ce le cas seulement au Nihon Tai Jitsu ?
Je ne le crois pas, il me semble que c’est l’un des travers des Budo modernes. Le Yoseikan Budo en est un excellent exemple avec des pratiquants venus d’horizons très divers et qui cherchent parfois des choses qui n’ont rien à voir : la compétition pour les uns, le tir à l’arc à cheval pour d’autres (en prenant les deux extrêmes). Pour ce que j’en sais, l’ondulation qui est au corps de la méthode d’Hiroo Mochizuki n’est pas pratiquée par tous. En revanche elle l’est probablement par ses proches élèves, de même que les proches de Roland Hernaez ont une forme de corps plus proche de la sienne.

L’Aikido me semble aussi un excellent exemple. Sans aller jusqu’à comparer les nombreux courants d’avant et d’après-guerre, on remarque qu’au sein même de l’Aikikai de nombreux courants coexistent. Comment concilier les pratiques de Tamura sensei et de Christian Tissier ? Sans avoir les moyens de juger du haut niveau de pratique de ces maitres, il semble clair qu’ils proposent des pratiques différentes, qui restent pourtant de l’Aikido.

Les exemples sont nombreux, parmi les écoles diffusées en masse (a contrario des Koryu diffusées à un plus petit nombre de pratiquants). En diffusant plus largement une école, on s’expose de fait au fait que l’école évoluera avec ses pratiquants. Parfois en bien, parfois en moins bien. Le Nihon Tai Jitsu se caractérise en revanche par sa capacité à accepter ces influences et à encourager ses pratiquants à faire leurs propres recherches et à trouver leur voie. C’est déjà beaucoup.


Commentaires

Unknown a dit…
Comme tu le sais, je suis toujours un peu réticent sur ces approches très variées, voire hétéroclites. Le problème pour moi est que cette ouverture ne fonctionne qu'avec des pratiquants ayant du recul sur ce qu'ils font et une grande maturité. Ça peut marcher avec les experts que tu cites ou dans ton propre cas, dans la mesure où tu as une pratique et une réflexion denses.
Pour le débutant, et même pour certains pratiquants plus aguerris, ce sera source de confusion. Soit on va avoir une forme qu'on va décliner dans des pratiques qui ne s'y prêtent pas (exemple type : faire du chambara avec une attitude pied-poings); soit on va changer de forme à chaque fois qu'on aborde une discipline avec une grande difficulté à trouver sa propre forme, ce qui est pourtant théoriquement le but final. C'est d'ailleurs à titre personnel un de mes problèmes avec mes changements de discipline ou de style.
Xavier a dit…
Je crois que c’est un faux problème. Les débutants suivent en général un prof, dans un dojo. Rarement une multitude. Si les formes de corps sont nombreuses dans l’école, au final ils en travailleront surtout une, dans leur dojo.

Comme tu as pu le remarquer en stage, le travail est très peu porté sur la forme de corps ou sur l’utilisation du corps en général, mais clairement plus sur les détails techniques, communs à tous.

Pour moi, le problème est moins le fait de se retrouver confronté à trop de formes de corps en NTJ, mais au contraire de ne jamais voir de travail spécifique sur la formation du corps. Ce qui explique que de nombreux pratiquants gradés aient finalement un niveau assez moyen, ou se retrouvent en tout cas limités dans leur progression.
Unknown a dit…
Il n'y a certes pas de forme de corps enseignée directement en NTJ, mais il y a une forme induite par certaines techniques ou kata.
Mais ça me donne du grain à moudre pour ma propre réflexion ;)
Xavier a dit…
Il y a une forme "classique" dans les katas, qui est présentée mais pas forcément enseignée. Dans les faits rien n'empêche un pratiquant de pratiquer les techniques avec sa propre forme de corps (la question de la cohérence mise à part).
Toi comme moi plaçons une grande importance sur la forme de corps, mais ça n'est généralement pas le cas en NTJ. Le travail se concentre en général sur "saisis là, tords ça, ça marche? Oui/Non". C'est une approche plus pragmatique que subtile
Unknown a dit…
Bonjour,
très juste comme réflexion avec de bons exemple. Sujet qui me parle puisque j'ai pratiqué Aïkido 15 ans et Yoseikan 16 ans que j'enseigne, plus d'autres styles et que je fais de la structure du corps un pilier de mon enseignement et pratique personnelle.Le problème vient je crois, du formatage des pratiquants, de la normalisation de la pratique, il conviendrait, je pense, de former les gens selon leur propre morphologie, caractéristiques...faire tous le même geste de la même façon est un non sens je trouve et si il est vrai que l'on peut "être" marqué par un style il convient de ne pas en être prisonnier.
Bien à vous,
Jean Philippe Pelissier
Xavier a dit…
Merci pour votre message. Je suis absolument d'accord sur le risque de devenir prisonnier de son style. Il est malheureusement courant de s'efforcer de copier le mouvement sans chercher à en saisir l'essence. Pourtant je pense qu'il est possible de faire un mouvement visuellement très proche avec des principes différents, ou au contraire des mouvements qui semblent différents mais qui suivent les mêmes principes, adaptés aux caractéristiques de l'individu et de son adversaire

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